Pourquoi et comment organiser des vacances pour les enfants ?

Antoine et Théodore sont élus au conseil d’administration d’Evasoleil et animateurs depuis plusieurs années. C’est avec ce double regard qu’ils discutent ensemble des questions : « pourquoi » et « comment » organiser des séjours pour enfants ?

Pourquoi organiser des vacances pour les enfants ?

Antoine : La première question c’est la question du sens : « pourquoi » participer à organiser des vacances pour les enfants ? Quel intérêt pour les enfants mais aussi quel intérêt pour une société de permettre aux enfants de partir en vacances ? Et ces questions en impliquent une autre : c’est quoi « partir en vacances » ?
Théodore :
Pour moi, les vacances, c’est un cadre différent du quotidien où tu te découvres en découvrant les autres. Que ce soit en vacances en famille ou dans des séjours de vacances, c’est l’occasion de faire la rencontre de personnes avec des vécus, des histoires, des centres d’intérêts, des savoirs faire, des rapports au monde complètement différents de ce que tu connais déjà.

Antoine : Je suis d’accord. Partir en vacances c’est sortir de l’ordinaire, c’est une rupture avec le quotidien, c’est l’extra-ordinaire au sens propre du terme.

Théodore : Oui c’est une manière d’élargir son horizon, de prendre des risques aussi, de sortir du confort de nos habitudes pour se découvrir dans de nouvelles situations.
Pour les enfants, les vacances c’est l’occasion d’expérimenter d’autres choses, d’apprendre autrement que par l’école. L’enfant n’est plus un être supposé ignorant qui recevrait de la connaissance depuis un adulte supposé sachant tel un vase qu’on remplit. L’enfant est réellement l’acteur se son apprentissage, il en donne la direction, les moyens, les limites. Par la confrontation avec son environnement, il s’adapte et développe des savoirs faire qui ne sont pas toujours valorisés dans son quotidien

Quels repères dans cette rupture ?

Antoine : Pourtant le quotidien aussi c’est important, évoluer dans un univers connu, avec des repères solides, c’est sécurisant pour l’enfant. La force des vacances c’est justement de ne pas déstabiliser ce quotidien. Bien que ce soient des lieux, un rythme et des personnes différentes, ça ne remet pas en question les repères de l’enfant. C’est comme l’exception qui confirme la règle.

Théodore : Ce que tu dis me fait réfléchir au côté éphémère des vacances que je trouve super important. Les enfants s’autorisent d’autant plus à expérimenter qu’ils savent le caractère temporaire de ce moment. C’est ce qui donne aux vacances et aux colonies de vacances cette fameuse intensité, c’est un temps fort de l’année. Quelques jours pour vivre et « profiter » un maximum. Les vacances, c’est d’ailleurs un temps qui est attendu, anticipé par les jeunes, ils s’y projette longtemps en avance.

Antoine : Tout ça se couple avec un vrai plaisir d’apprendre. Contrairement à l’école, l’apprentissage ne rime plus avec « sérieux », « discipline », « évaluation » ou « travail » mais retrouve son moteur premier : la curiosité. Tout est dans le plaisir d’en apprendre plus, d’en essayer plus, d’en comprendre plus. C’est non seulement un apprentissage ludique mais aussi plus puissant. En cela, celui qui organise des vacances pour les enfants se retrouve avec un formidable outil éducatif entre les mains. Pour peu qu’il en prenne conscience, le voici devenu un pédagogue.

Inégalité ou injustice du droit des enfants aux vacances

Théodore : Mais tous les enfants ne partent pas en vacances.

Antoine : Non, loin s’en faut. D’ailleurs est-ce que les vacances sont un droit inscrit dans la constitution internationale des droits de l’enfant ?

Théodore : non mais on y trouve le « droit au repos » et le « droit aux loisirs » qui peuvent être interprétés en ce sens. D’ailleurs si les vacances ont bien l’importance qu’on leur a prêté, quelle inégalité que l’inégalité devant l’accès aux vacances !
Priver les enfants de vacances, c’est les priver de cette opportunité de comprendre le monde sous un autre angle, par les yeux d’autres personnes et par une expérimentation intense et ludique.

Antoine : C’est non seulement une injustice flagrante mais également une inégalité qui se transpose dans la société. Comment envisager l’altérité, l’accepter voire s’enrichir de cette altérité si on ne la rencontre pas, si on ne s’y confronte pas ?

Surtout que les vacances permettent aussi un vrai brassage social. En colonies de vacances comme en camping, on se retrouve avec des personnes de toutes catégories socio-professionnelles, toutes origines, tous quotidiens. Cette mixité sociale est particulièrement intéressante pour les enfants et notamment en séjours où tous ces inconnus sont amenés à former un groupe, à vivre ensemble, à partager un quotidien pour quelques jours. Ce ne sont pas des expériences que l’on a souvent l’occasion de vivre.
Et elles marquent les esprits ! Il n’y a qu’à voir à quel point les aurevoirs sont intenses après seulement une semaine de séjour, tout le monde pleure !

Théodore : Le problème, c’est bien entendu le coût des vacances. Partir en vacances, surtout en famille, ça coûte cher. C’est aussi pour ça que les organismes qui organisent ces moments exceptionnels pour l’enfant doivent, selon moi, prendre la mesure de ce qui leur est confié.

De la responsabilité des organisateurs de séjour 

Antoine : Une responsabilité auprès de l’enfant d’abord, de la famille ensuite mais aussi devant la société qui lui confie ces futurs adultes, ces futurs citoyens.

Théodore : Il y a aussi les enfants qui, pour diverses raisons, ne vivent pas au quotidien avec leur famille et n’ont pas la possibilité de partir en vacances avec elles. Je pense notamment aux enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance ou les « mineurs non accompagnés » arrivés en France sans leur famille après un parcours migratoire souvent très difficile. Ils passent leurs vacances dans des colonies de vacances car l’été les services ferment ou sont en effectifs réduits.

Antoine : Là encore c’est une mission très importante qui est confiée aux organismes qui les accueillent.

Théodore : Et comment définirais tu cette responsabilité?

Antoine : Je dirais qu’en tant qu’élus d’une association d’animation qui organise des séjours de vacances, nous avons la responsabilité de prendre conscience de l’importance de ce qui nous est confié. Ce n’est pas anodin d’organiser des vacances pour les enfants. A mon sens c’est un vrai acte politique qui se doit d’être conscient et réfléchi.

Théodore : C’est vrai qu’en peu de temps, on peut avoir un impact énorme sur la vie des enfants. Comme on peut ne pas en avoir du tout… c’est comme une proposition qui leur est faite. Chaque enfant ne retire pas la même chose de ce qu’il vit. Même au sein d’un même groupe qui a fait les mêmes activités durant une même période. L’expérience aura résonné différemment chez chacun.

Antoine : Ce qui compte c’est que les adultes puissent se mettre sur un plan horizontal avec l’enfant. C’est accepter qu’un enfant peut tout à fait nous apprendre des choses, qu’il est tout à fait possible d’apprendre ensemble, d’expérimenter ensemble, côte à côte.

Théodore : Mais est-ce que le fait de se mettre sur un pied d’égalité avec l’enfant, ça ne répond pas plutôt au « comment » qu’au « pourquoi » ?

Du pourquoi au comment

Antoine : La posture de l’animateur est primordiale selon moi. Il n’est ni prof, ni parent, ni éducateur… c’est un adulte de référence présent auprès de l’enfant pour un certain temps. Je les vois comme autant de possibilités pour les enfants de se saisir de ces adultes autour de lui, de voir quelque chose en eux qui donne envie d’explorer quelque chose en soi. Une relation à investir pour mieux se connaître, pour questionner l’autre sur son rapport au monde, sur des sujets qui nous intriguent, parfois qui nous angoissent. Parfois, c’est aussi une occasion de venir déposer des choses tout en sachant que l’animateur et l’enfant ne se reverront pas. Comme une lettre dans une bouteille à la mer, une lettre qui n’est lue qu’une fois mais qui fait quand même du bien.
Mais c’est vrai qu’on rentre ici plutôt dans la seconde question… d’ailleurs quelle serait-ta réponse ?

Théodore : Au vu de tout ce qu’on a pu dire sur les vacances en tant qu’environnement nouveau, que moment « extra-ordinaire », je pense que plus il y aura de différences avec le quotidien, plus ce sera intéressant pour l’enfant.

Antoine : Ce que tu dis me fait penser aux vacances organisées à grand frais dans des lieux paradisiaques mais où la personne est dans un hôtel avec des personnes issues du même milieu socio-professionnels, où elle ne sort que pour faire des activités de consommation ou visiter des lieux dans un cadre restreint.

Théodore : « Différent » de l’ordinaire, ça ne veut pas dire « le plus loin de chez soi possible ». Dans ton exemple, les personnes pourront aller n’importe où dans le monde pour y voir n’importe quoi, elles ne vivront jamais de réelle rupture avec leur quotidien. Je te parle d’expérimenter un autre rapport avec son environnement, avec les autres, de prendre part à la construction de ce qui nous entoure. Et en tant qu’organisateur de vacances, il nous faut prendre conscience qu’on transmet des valeurs, des idées, une vision sur ce qui nous entoure.
Je suis élu dans une association qui organise des vacances pour les enfants. Cette association porte des valeurs fortes, elle avance grâce à un socle commun et se construit avec les différents individus qui s’y engagent. Chacun avec son point de vue, ses valeurs, sa sensibilité. Mon rôle est de participer à construire cette mécanique complexe, à mettre de l’huile dans ses rouages pour qu’elle fonctionne. D’y ajouter mes idées, mais aussi de faire en sorte que chacun puisse être entendu et y trouve sa place. Cela comprend les animateurs, les bénévoles, les élus, les salariés, les familles et avant tout les jeunes.

Antoine : Une fois qu’on a pris conscience de notre responsabilité, cela devient un jeu d’équilibriste entre l’idéal et les contraintes du réel. Je dirais que c’est à chaque organisateur de réfléchir à sa propre réponse, sa propre pédagogie. A Evasoleil nous avons plusieurs piliers fondateurs de notre séjour : une vraie mixité sociale, une balance entre des libertés accrues et la responsabilisation de chacun devant le groupe, un cadre cohérent qui permet de vraiment s’adapter aux individus, des adultes qui ne sont pas au-dessus mais à côté des enfants.
Dans la méthode, tout est envisageable à condition de toujours se poser à question « pourquoi » je fais les choses de cette manière et pas autrement ? Qu’est-ce que je cherche à produire ? à transmettre ? Est-ce que je suis cohérent avec le reste du projet ? Le projet pédagogique ne doit pas être, comme trop souvent, une contrainte juridique, un élément de décoration ou de publicité. C’est le cœur même du séjour, c’est à lui qu’on se réfère quand on doute, à lui qu’on revient lorsqu’on s’égare, c’est la quille du bateau, la fondation de la maison.

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Publié le 3 décembre 2022 Par Evasoleil
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