Ces enfants placés

Aline a été sollicitée par Evasoleil pour répondre à la question suivante : “Comment et pourquoi organiser des vacances pour les enfants ?”
Après avoir passé près de 10 ans dans des périscolaires, centres de loisirs et colonies pour les enfants, elle a ôté sa casquette de coordinatrice pédagogique il y a 2 ans pour intégrer l’équipe d’un lieu de vie. En tant que permanente de ce lieu de vie, elle a choisi de répondre à la question posée avec le recul de ses deux années de pratique au contact d’enfants et de jeunes placés par les services de l’aide sociale à l’enfance.
Elle livre sa vision actuelle, très personnelle, du monde de l’enfance protégée, et se saisit de la tribune proposée par Evasoleil. Son témoignage n’engage pas l’Association et n’est le reflet que de sa propre expérience.

Un enfant placé, sorti un peu ou totalement de sa famille, est globalement un dossier, une situation, un numéro, un être vivant qu’on déshumanise et qu’on prive de droits, pour lequel il faut trouver une nouvelle place.
Pour les enfants en général, la lutte pour l’application de leurs droits fait rage aujourd’hui ; pour les enfants placés, elle n’est qu’un murmure lointain.

Il semblerait que lorsqu’un juge décide du placement d’un enfant, cette décision lui occulte sa place même d’enfant, et qu’il ne soit plus que l’indésirable, l’handicapé, l’encoprésique, l’inadapté, le sauvage de la cour de l’école, qui n’a sa place nulle part dans la société.
Alors qu’on questionne la place des enfants dans le monde, on ne questionne pas assez le monde de ces enfants placés. Quels sont leurs réalités, leurs besoins, leurs envies, leurs problématiques ?

Ces questions ne sont pas suffisamment centrales aujourd’hui dans le milieu de la protection de l’enfance ; l’enfant n’y est pas assez central. Non, au centre de l’échiquier, on trouve le Roi, mais surtout sa Reine, l’Institution. D’un œil hagard, elle missionne ses Fous pour que les Cavaliers fassent bonne figure sur le terrain. Mais ils sont boiteux, en maladie, en congés, en burn-out ; confinés aux limites de leur Territoire, ils ne sont finalement nulle part. Les Tours, aux quatre coins, tant bien que mal tiennent debout. Et puis enfin, un peu partout, il y a les Pions. Ils sont nombreux, et tout petits, la pièce facile qu’on sacrifie…
Protection de l’enfance ? Mensonge.
Quiconque s’y attarde pourra observer une bureaucratie aliénée, devenue oiseuse à essayer d’accorder des nuances au noir et blanc de son damier.

Sur l’autel du sacrifice de ces enfants placés, on invoque la place disponible. Et si cette place disponible les éloigne de leur famille, de leurs repères, de leur école ou de leurs loisirs, il paraît qu’ils s’y feront, et surtout qu’il n’y a pas le choix. Alors quand c’est ainsi que ça se passe pour le lieu qui devient leur lieu “de vie”, comment pensez-vous que cela se passe lorsqu’il s’agit de leurs vacances ?

Pour un enfant placé, les vacances sont avant tout synonymes de congés ou de repos pour la famille d’accueil, de congés payés pour les éducateurs et de fermeture annuelle pour la structure dans laquelle il est.
Alors quand il faut trouver, encore, un autre lieu pour ces enfants, il est bien rare de raisonner en termes de projet, de loisirs, de temps collectifs adaptés. Ce qu’on entend le plus c’est l’urgence, la rentabilité, le prix de journée.

On parle beaucoup de séjours de rupture et d’accueils relais, à peine de séjours d’apaisement, trop peu de séjours de vacances.
Et une fois de plus, il s’agit surtout de provoquer la rupture du lieu d’accueil que l’enfant placé met à mal, il s’agit beaucoup de trouver un relais pour la famille d’accueil qui n’a cessé d’alerter mais n’a pas été soutenue, et il s’agit à peine de réfléchir à des moyens d’apporter un tant soit peu de sécurité à ces enfants ballottés pour qui, dans une grande majorité des cas, le placement lui-même provoque ou amplifie leurs déséquilibres. Un jour, peut-être, les enfants placés seront mieux considérés, mieux compris, mieux entendus. Un jour, peut-être, les enfants placés pourront faire valoir leur droit à des vacances choisies, voulues, adaptées, concertées.

Et un jour, enfin, les directeurs de structure, les permanentes, les éducateurs, les inspectrices, les assistants familiaux, les cheffes de service (…) bénéficieront de moyens humains suffisants pour prévenir trop-pleins, arrêts de travail, violences (…) et prendront le temps de penser, de réfléchir et d’organiser de vraies vacances pour ces enfants, pour qu’elles ne soient plus des portes de secours, des plans E, des non-choix, des supplices, des erreurs, des tragédies.

Pour aller plus loin

Publié le 24 novembre 2022 Par Evasoleil
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