La pédagogie de la liberté

 

Quels sont les principes et fondements de la pédagogie de la liberté, utilisée par certaines équipes pédagogiques de colonies de vacances ? Pourrait-elle devenir l’un des modèles courants des colonies de vacances contemporaines ?

Raphaël Szmalc, animateur engagé, nous présente ici le fruit de ses recherches sur la pédagogie de la liberté.

Les fondements de la pédagogie de la liberté et sa place en séjour de vacances

On pourrait trouver les fondements de la pédagogie de la liberté à plusieurs époques et auprès de plusieurs grands noms, mais c’est Rousseau qui prendra fortement position dans la liberté de l’individu éduqué avec son œuvre « Émile ou De l’éducation », dans lequel on suit l’éducation d’Emile, un jeune homme fictif. Certes, une grande partie des propos de Rousseau fait débat, mais il est le premier à mettre ce sujet au cœur de l’éducation. Il est le premier à avoir confiance en la nature de l’enfant.

Suite à ce courant basé sur une croyance, naît deux autres courants aux alentours de 1900.
Un courant plutôt philosophique est porté par John Dewey et Stanley Hall qui pensent comme Rousseau que l’enfance ne doit pas être abrégée, sous peine de détruire le génie humain. Janusz Korczak y contribue également et conçoit l’enfant comme un individu ayant des droits au même titre que les adultes.
L’autre courant est scientifique : il s’agit de l’éducation nouvelle, un courant pédagogique né au début du XXème siècle. Les défenseurs de ce courant pensent que c’est l’enfant qui doit être mis au centre de l’éducation, et non pas les enseignements. Maria Montessori développe par exemple l’utilisation de matériel pédagogique adapté à un usage autonome par l’enfant, Roger Cousinet met au point une méthode de travail libre par groupe, Ovide Decroly conseille de partir des intérêts de l’enfant et Celestin Freinet quant à lui propose l’expression libre, le travail libre, le tâtonnement expérimental, les fiches auto-correctrices…

Il est également important de parler de Francisco Ferrer qui fonda en 1901 l’Escuela moderna, une école d’inspiration libertaire. Alexander Sutherland Neill fera de même sous l’impulsion de ses conclusions psychanalytiques : il fonda dans les années 1920 Summerhill, un pensionnat où l’enfant est totalement libre, mais où le groupe est gouverné de manière démocratique par l’ensemble des individus qui le compose.

Ces pédagogues de la première moitié du XXème siècle montrent de manière globale un intérêt croissant pour l’activité libre, le travail libre en groupe, le jeu, l’activité spontanée, les projets d’enfants, etc. Au-delà des savoirs que veut transmettre l’école traditionnelle, ils sont jugés bénéfiques dans la construction personnelle de l’enfant.

« L’enfant a besoin que son activité soit possible et libre, qu’elle ne soit contrainte ni positivement ni négativement » Roger Cousinet

À la fin des années 30, ces principes arriveront dans les colonies de vacances par le biais de la formation des moniteurs proposée par les CEMEA et les Éclaireurs de France.

Aujourd’hui, la pédagogie de la liberté fait beaucoup parler d’elle à travers les écoles alternatives et l’éducation en famille. Cependant elle est également présente de manière éparse dans des séjours de vacances où certaines équipes pédagogiques motivées par l’éducation populaire, décident d’aménager des temps où la liberté tient une place importante. Certains vont même jusqu’à la mettre au centre de leur projet.

En effet, la pédagogie de la liberté s’inscrit totalement dans l’éducation populaire qui vise l’épanouissement et l’indépendance des individus en leur donnant les moyen d’agir pour et dans la société.

La liberté est difficilement accessible pour beaucoup d’enfants au sein des structures dans lesquelles ils évoluent, famille et école principalement.
C’est donc en colonie que cette opportunité peut se présenter. La colonie est un temps fort dans la vie de l’enfant ; c’est le moment où il rencontre de nouveaux camarades, de nouveaux éducateurs, un nouvel environnement.
La liberté se présente alors comme une manière alternative pour l’enfant de se confronter à cette situation nouvelle. Cette liberté lui permet de trouver ses propres réponses faces aux situations, quelquefois inédites, qu’il rencontrera à ce moment-là.
Cette manière d’aborder la vie en société sera alors un complément essentiel de ce qu’il apprend le reste de l’année, ce sera un moment clé dans la socialisation de l’enfant et son apprentissage du vivre-ensemble.

« Les gens disent toujours : « Mais comment des enfants libres s’adapteront-ils jamais au côté fastidieux de la vie ? » J’espère bien que ces enfants seront les pionniers de l’abolition de ce qui est fastidieux » A.S Neill

La liberté au service de l’autonomie et de la construction de l’identité

« La liberté ne provient pas d’une absence de contraintes. Elle est un pouvoir : pouvoir d’enfanter des projets, de penser judicieusement, de mesurer les désirs à leurs conséquences ; pouvoir de choisir et d’ordonner les moyens grâce auxquels on poursuit les fins qu’on s’est assignées. » John Dewey

Un des apports incontournables des pédagogues du XXème siècle est la démonstration que l’enfant est capable d’apprendre par lui-même, et que cela a trop longtemps été condamné par l’éducation formelle.
L’enfant, s’il est plongé dans le milieu adéquat est capable d’apprendre seul. Non seulement il apprendra beaucoup et avec efficacité, mais il apprendra avec plaisir.

Laisser à l’enfant le choix de ses activités, c’est respecter son rythme naturel et c’est lui donner l’occasion de suivre ses envies — ces dernières étant fortement liées à ses besoins naturels d’apprentissage et de découverte.

« Un apprentissage est inutile s’il ne sert à rien, s’il arrive à un moment où on n’en a pas besoin », Robert Lelarge

La liberté d’agir laissée à l’enfant lui permet d’évoluer naturellement et donc d’être à l’écoute de lui-même. « Qu’est-ce que je veux ? Qu’est-ce que j’aime ? Qu’est-ce que je préfère faire ? » sont autant de questions qui permettront à l’enfant de construire son identité et son individualité. Ce respect de l’individualité doit constituer un droit fondamental de l’enfant.

« Tu n’obtiendras rien de la contrainte. Tu pourras à la rigueur les contraindre à l’immobilité et au silence et ce résultat durement acquis, tu seras bien avancé » Fernand Deligny

Cette liberté jouera également un rôle dans l’écoute que l’enfant à de lui-même. « De quoi ai-je besoin maintenant ? » est une question essentielle que l’enfant doit pouvoir se poser, c’est primordial pour la construction de son autonomie.
En effet, si l’adulte, par un fonctionnement qu’il impose, tente de répondre aux besoins de l’enfant de manière contrainte, il juge de ce qui est bon pour l’enfant sans le consulter et empêchera l’enfant de prendre conscience de ses besoins.

Cette prise de conscience est nécessaire car elle permettra à l’enfant d’être en capacité de répondre lui-même à ses besoins et de les exprimer aux individus qui l’entourent.

La liberté permet également de laisser l’enfant faire des erreurs, vecteur essentiel dans l’apprentissage. Faire des erreurs est acceptable à la condition que ces dernières n’aient pas de conséquences à long terme et qu’elles soient évitables par l’enfant. Plus, elles sont souhaitables si une rétroaction immédiate peut être perçue par l’enfant.
Par exemple, plutôt que d’interdire à un enfant de courir dans une cour d’école, ne vaut-il mieux pas le laisser prendre le risque de tomber et donc lui laisser l’opportunité de comprendre par lui-même que s’il court, il peut tomber et se faire mal ? Dans cet exemple, l’enfant peut courir sans se faire mal, ou bien la conséquence d’une chute serait une égratignure au poignet ou au genou. La situation est donc acceptable.
L’enfant apprendra seul par l’expérience et sera plus autonome par la suite. Ce principe n’est pas applicable dans toutes les situations car le risque est parfois trop grand (blessure grave, mise en danger d’autrui, etc.) ou bien car la rétroaction est trop décalée dans le temps ou imperceptible (alimentation et santé, comportements addictifs).
Ce principe est cependant beaucoup plus applicable que l’on a tendance à le penser.

La pédagogie de la liberté et la place de l’adulte

« Il suffit donc de laisser les enfants et adolescent tranquilles et ils feront leur éducation tout seul » pourrait-on penser… Or ce n’est pas du tout le cas, l’adulte a un rôle capital dans les colos faisant le choix de cette pédagogie.

« Si la pédagogie ne peut jamais déclencher mécaniquement un apprentissage, il lui revient de créer des espaces de sécurité dans lesquels un sujet puisse oser faire quelque chose qu’il ne sait pas faire pour apprendre à le faire » Philippe Meirieu

L’adulte doit avant tout représenter un repère pour l’enfant.
Hors de ses cadres habituels (espaces familial, scolaire, etc.), ce dernier se retrouve plongé dans un nouveau groupe et un nouveau lieu ayant de nouvelles règles.
Bien que ce nouvel espace offre à l’enfant de nouvelles opportunités, il est inconnu et peut donc être inquiétant.
L’adulte est alors un point d’ancrage, de sécurité affective et morale. L’adulte doit être disponible pour accompagner l’enfant dans ces questionnements émergents de cette liberté nouvelle.

L’adulte doit l’aider à faire seul. La manière dont l’adulte réalise cet accompagnement conditionne l’indépendance de l’enfant et sa possibilité d’être vraiment libre.
Par exemple, si l’enfant veut travailler le bois à l’atelier mais qu’il n’a jamais utilisé une scie ou un marteau, un non-accompagnement de l’adulte à cet instant serait dangereux (cf paragraphe précédent), ou se solderait potentiellement par un abandon de l’enfant (manque de confiance en lui-même, découragement suite à des échecs à répétition, blessure légère ou profonde suite à une mauvaise manipulation, etc.).
Dans cet exemple, l’enfant ne pourrait se sentir libre que s’il est armé des connaissances suffisantes pour pouvoir commencer son activité : ici se situe le rôle de l’adulte.
Cela n’est pas vrai qu’avec les scies et les marteaux : il peut s’agir de connaissances de la vie courante (savoir couper sa viande, lire l’heure, faire ses lacets), de compétences sociales (comment communiquer, outils de vie en groupe), et bien d’autres choses…

Ressources CEMEA (clic image)

L’autonomie ne se décrète pas, elle se construit progressivement. Et la complexité d’un tel accompagnement est évidente : à quel moment l’accompagnement permet à l’enfant de s’émanciper de manière libre et autonome ? Et à quel instant contraint-il l’enfant dans sa pensée divergente et sa capacité à penser par lui-même ? L’adulte accompagnant marche sur le fil et doit savoir trouver l’équilibre. 

L’adulte va d’autre part modeler l’environnement de l’enfant et du groupe d’enfants en aménageant les espaces.
Son but est de multiplier les opportunités qu’a l’enfant de s’approprier son environnement.
Prenons l’exemple d’un enfant libre de déambuler dans un centre. S’il ne sait pas où il est, ce qu’il est possible de faire et s’il n’a pas accès aux ressources, alors peut-on encore affirmer que cette liberté a du sens ? Durant un séjour de vacances, les adultes sont garants du milieu dans lequel les enfants évoluent : cela signifie qu’ils doivent accompagner l’enfant dans la découverte de leur environnement.

 « L’éducateur crée le milieu, il en est une partie. Il est le lien vivant et actif entre le milieu et l’enfant… » Gisèle De Failly

« L’homme est libre lorsqu’il y a continuité entre son activité et son environnement physique, intellectuel, social. L’environnement qui, dans la théorie traditionnelle de l’éducation est nécessaire, dit-on, à sa liberté, est ici la condition même de sa liberté : sans environnement, l’enfant ne serait pas libre, il ne serait même pas du tout » John Dewey

Enfin l’adulte veille par le cadre qu’il va proposer ou par ses interventions à la qualité de la vie du groupe. Même si les enfants sont libres, ils doivent réaliser que leur liberté ne doit pas empiéter sur celle des autres.

La liberté, en tant qu’engagement pédagogique, suppose donc que l’adulte doit lui permettre cette liberté.
En colonie, l’animateur est responsable de l’enfant, garant du cadre éducatif et responsable de sa sécurité : il a un devoir vis-à-vis de l’enfant. Or, si cet enfant est laissé libre, l’adulte se pose légitimement quelques questions : que vais-je leur apprendre ? Comment vais-je pouvoir veiller à leur sécurité ?

Pour ne pas sortir de cette pédagogie de la liberté, l’adulte doit nécessairement avoir confiance en l’enfant.
Cela passe d’abord par comprendre et faire confiance aux méthodes pédagogiques proposées.
Puis, l’adulte doit croire en la capacité des enfants — des êtres humains en général — à être capables d’autonomie.

Enfin, il doit concevoir l’enfant comme un individu à part entière ayant des droits, et non pas comme une personne en devenir. La liberté de l’enfant sera déterminée par cette confiance. Parfois, lorsque par ses actes ou ses propos l’enfant perd la confiance de l’adulte, il est essentiel que ce dernier offre les moyens à l’enfant de regagner cette confiance.

En tant qu’adulte, il faut donc savoir établir un lien de confiance à double sens : L’enfant doit gagner la confiance de l’adulte pour jouir pleinement de sa liberté, et l’adulte doit gagner la confiance de l’enfant pour qu’une relation de qualité puisse émerger.
Lorsqu’un tel cadre est mis en place, l’adulte s’efface alors peu à peu et l’enfant profite de son autonomie acquise.

Les limites de la liberté

Comme nous l’avons vu, la principale limite à dépasser est l’environnement éducatif dans lequel l’enfant pourra s’épanouir.

Une liberté qui surgit brutalement peut enivrer ou mettre en danger un individu qui n’y a jamais été confronté pleinement.
Si l’enfant n’a pas connu la liberté auparavant, il ne saura probablement pas digérer cet élargissement du cadre : A l’adulte de l’accompagner dans cet accès à la liberté.

Lors d’un séjour, cet accompagnement demande une attention toute particulière, des moyens suffisants et une gestion parfaite du cadre, et ce notamment au début du séjour.

D’autre part, miser trop fortement sur l’enfant, sur sa créativité innée, sur son entrain naturel, etc., c’est prendre le risque de ne pas atteindre les objectifs éducatifs fixés.
Certains enfants s’accommoderont très bien de cette liberté pour entreprendre des projets, inventer des jeux, interagir avec les autres membres du groupe etc. Mais d’autres auront plus de difficultés et se sentiront perdus ou indécis devant le nombre de possibilités auxquelles ils font face.
Encore une fois, c’est à l’adulte d’être vigilant sur la façon dont le jeune vit son séjour et de construire une démarche progressive et adaptée au public.

Philosophiquement, l’individu à vocation à être libre un jour.
En France, un dogme nous laisse à penser que cette liberté ne peut être vécue qu’après 18 ans.
Dans ces conditions, l’enfant n’est pas libre et ne jouit pas des mêmes droits que les adultes.
Pourquoi ne pas tenter de changer la donne en proposant aux enfants de s’émanciper bien avant ? Ceci en leur proposant un cadre leur permettant de comprendre leurs droits et leur rôle d’individu accompli dans la cité ?

« L’énoncé théorique des droits et des devoirs de l’individu dans la communauté ne suffit plus ; c’est la pratique sociale qu’il faut développer afin que l’homme sache plus tard se conduire librement dans les diverses occasions de la vie. » Célestin Freinet

Finalement, la liberté a donc un intérêt pédagogique démontré. Elle nécessite cependant une compréhension pédagogique pointue chez l’adulte ainsi qu’un environnement riche et adapté.
Elle est actuellement trop peu présente dans les accueils de loisirs et les séjours de vacances, notamment à cause d’appréhensions qu’ont les équipes d’adultes vis-à-vis de ce qu’elle implique.
La liberté est souvent perçue comme dangereuse pour l’enfant et pour le groupe. Elle donne à l’adulte l’impression d’une perte de contrôle, alors que les risques sont maitrisables et souvent inexistants.
La liberté est au cœur de l’éducation populaire et est une condition à l’autonomie et à l’émancipation.

Et en tant qu’acteur éducatif, il est de notre devoir de lutter pour une plus grande liberté des enfants, à fortiori dans leur temps de loisirs.

« Nous ne considérons pas qu’un enfant soit discipliné quand ses professeurs ont réussi à le rendre aussi silencieux qu’un muet et aussi immobile qu’un paralytique. Un tel individu n’est pas discipliné mais annihilé. Nous disons d’un individu qu’il est discipliné quand il est maître de lui-même et qu’il est capable de contrôler sa conduite dans les occasions où il faut suivre des règles. » Maria Montessori