Le délicat accueil de la parole d’un enfant

En prenant soin d’un enfant, on se retrouve confronté à ses fragilités. Bien que nous ayons rarement la solution toute trouvée à ses éventuelles difficultés, le jeune nous convoque parfois à nous saisir de son “problème”, de sa situation et à lui apporter une aide. En tant qu’acteurs de l’éducation de ces enfants, il nous paraît impensable de chercher à se défiler, de tenter de refiler le problème à quelqu’un d’autre qui serait soit disant mieux placé pour y répondre. Laurent Ott, un de nos partenaires qui développe les aspects pédagogiques et philosophiques du champ social, a pour habitude de dire “la meilleure personne, c’est celle qui est là”.

Quand nous sommes choisis par un jeune pour recevoir ses secrets, qu’il nous fait entrer dans l’intimité de sa pensée, de ses sentiments, qu’il nous confie sa fragilité, on se sent vite démuni, impuissant, illégitime face à la responsabilité qui vient peser sur nos épaules. Que faire de ce qui vient de nous être apporté ?
Ce serait irresponsable de regarder et faire comme si rien ne s’était passé. Ne pas accueillir cette parole et orienter à l’aveugle le jeune vers quelqu’un d’autre serait négliger la confiance qu’il a eu en se confiant et le courage qu’il lui a fallu. Rester seul avec cette responsabilité, c’est prendre le risque de se confronter à son impuissance ou pire, de se croire tout puissant. Ce qui semble le plus raisonnable, c’est de prendre la responsabilité mais de la diluer dans un ensemble de professionnels soumis à la confidentialité des échanges.
Par ailleurs, il doit être clair dès le début de l’échange que l’anim ne peut pas garder pour lui de secret s’il estime que ce qu’il entend doit être partagé à l’équipe, à la direction voire à d’autres institutions qui prendront le relais de l’accueil de cette parole. Afin d’éviter d’être pris dans un conflit de loyauté avec la promesse de ne rien dire, il faut prévenir en amont l’enfant, qu’il ne se sente pas trahi alors qu’il vient de donner sa confiance.
En colonie de vacances, les paroles recueillies par des animateurs volontaires ou des bénévoles doivent faire l’objet d’un travail, d’une réflexion en équipe. Chaque adulte doit être préparé à recevoir la parole des enfants, savoir comment réagir et surtout comment s’entourer.

Sur les séjours Evasoleil, nous appelons chaque adulte à être vigilant à la parole de chaque enfant et à la prendre en considération pour agir en conséquence. Cela commence toujours par un recueil minutieux de la parole du jeune en lui montrant qu’on est concerné par ce qu’il nous confie et que sa parole nous est précieuse. Il faut écouter l’enfant sans poser de questions ou faire d’affirmation qui puisse altérer sa version des faits. Les questions orientées sont à proscrire et il faut garder à l’esprit que ce n’est pas notre rôle ni le moment de faire des hypothèses ou d’imaginer des choses qui ne sont pas contenu dans le discours de l’enfant. L’accueil de la parole doit mettre l’enfant en confiance et lui montrer qu’il a eu raison de se confier, le rassurer. Il faut cependant être clair sur le fait qu’on ne peut pas garder pour nous les faits graves qu’il peut nous divulguer. Il faut le dégager de la responsabilité d’avoir parfois dit des choses qui peuvent le mettre en difficulté avec des membres de sa famille par exemple. Ce sont les paroles brutes de l’enfant qui doivent être ensuite retransmises à l’équipe de direction du séjour, par écrit et aussi rapidement que la situation le nécessite. Dans l’idéal, quand on sent que cela est possible, nous devons accompagner l’enfant à confier lui-même à un membre de l’équipe de direction (lorsqu’elle est compétente, en phase et à l’écoute).

L’équipe et le directeur réfléchissent ensemble aux suites à donner. Tout propos de l’enfant nous permettant de suspecter une situation de danger pour lui ou pour un autre jeune se doit d’être signalé aux services de l’aide sociale à l’enfance au moyen d’un appel au 119, d’une information préoccupante (IP) ou d’un signalement au procureur s’il y a lieu de penser à une situation de danger urgente. La préparation d’un appel au 119 consiste à consigner tous les propos et toutes les connaissances que nous avons sur la situation de l’enfant pour que le témoignage soit complet. Autant que faire se peut, il est toujours plus avantageux de préparer et de passer l’appel avec le jeune concerné. Il est le mieux placé pour parler de sa situation et le 119 considère davantage les propos tenus par les enfants eux-mêmes que ceux tenus par des adultes.

Les propos ne doivent pas être négligés quand bien même il ne ferait pas état d’une situation alarmante et nous ne considérons pas de danger. Si un jeune nous confie quelque chose qui a de l’importance pour lui, nous ne devons pas négliger l’importance de ce qui est confié. Janusz Korczak défendait le droit de l’enfant d’être triste “même pour la perte d’un caillou”. La prise en compte de toutes les fragilités de l’enfant est un signe de respect et permet de le mettre en confiance s’il devait être amené à confier d’autres choses.